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Caroline Challan Belval présente son œuvre comme une réactivation contemporaine du globe céleste de Coronelli, gravé en 1693 pour Louis XIV. Il est question d’une carte du ciel construite selon des repères célestes fondamentaux mais également nouveaux. Comme pour la sphère de Coronelli, il s’agit d’un globe convexe c’est-à-dire que le ciel est représenté conformément à la vision qu’en a un observateur placé à l’extérieur de la voûte céleste. Une manière pour le Roi-Soleil de surplomber l’univers à l’époque. Avec le soutien de Farrokh Vakili, directeur de l’Observatoire de la Côte d’Azur, les chercheurs Frédéric Thevenin et Philippe Bendjoya ont accompagné l’artiste dans son projet.

© C. Challan Belval

Caroline Challan Belval n’a pas de formation scientifique, il a donc fallu lui apprendre à se situer dans l’espace céleste, appréhender une cartographie et se repérer dans une base de données, notamment celle du Centre de Données astronomiques de Strasbourg (CDS). Certains éléments proviennent également du catalogue Double Star de Washington ainsi que du CHTLS de Hawaï. La sphère de Coronelli semblait intéressante aux yeux de l’artiste car elle permet de se rendre compte à quel point le ciel est en mouvement depuis le XVIIe siècle.

Pour la partie scientifique de l’œuvre, Caroline Challan Belval a fait appel à des chercheurs de l’Observatoire de la Côte d’Azur et de l’Institut Astrophysique de Paris pour l’aiguiller dans ses recherches et la construction de sa propre carte du ciel. Dans son approche artistique, l’enseignante de l’École Nationale Supérieure d’Art de la Villa Arson et de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Nice Sophia Antipolis, a choisi de marquer la voûte du ciel par l’empreinte de ses mains. Une tentative de saisir une chose intangible et inaccessible, comme l’explique l’artiste : « De même que lorsqu’on essaye de toucher quelque chose à travers une fenêtre close, les mains laissent une trace sur le verre. J’ai tenté de toucher les étoiles, des régions du ciel. Ici, les empreintes représentent des amas d’étoiles, des labyrinthes construits ou projetés, où la main parcourt l’espace "à l’aveugle". Il s’agit de rêver. En peinture, on tente de saisir la matérialité et l’essence des choses. »

Les figures dessinées sur le globe par rapport aux constellations ne sont pas les formes habituellement utilisées dans les cartographies célestes. Produite à l’occasion d’une exposition à la Cité de l’Architecture & du Patrimoine de Paris, un musée qui possède les doubles de toutes les beautés architecturales et patrimoniales françaises depuis la période post-romaine jusqu’à nos jours, cette sphère est composée de diverses figures mythologiques de la Cité. Du coup, on peut voir une figure féminine sur la constellation d’Andromède qui est une allégorie de la Rivière dans la Fontaine de la Place Stanislas de Nancy. De même pour la constellation du poisson austral qui est représentée par la figure des poissons de l’église de Montoire-sur-le-Loir.

L’origine du concept

Si l’œuvre est intitulée « La sphère des bâtisseurs », ce n’est pas anodin. Pour l’artiste, ce choix est judicieux, implicite et plein de sens. D’une part parce que l’œuvre est liée à l’architecture, le nom bâtisseur semblait donc approprié. D’autre part car ce titre permet de rendre hommage à toutes les personnes qui ont contribuées de près ou de loin à la construction de ce projet.

Depuis des années, Caroline Challan Belval rêvait de faire sa propre carte du ciel. « Si je n’avais pas été artiste, j’aurai voulu être astrophysicienne  », confie-t-elle. Le déclic est survenu lorsqu’elle vit les tirages de la sphère de Coronelli pour la première fois, qu’elle trouva d’une beauté et d’une poésie sans pareil. Alors l’exposition Ars architectonica prit corps à Paris en collaboration avec la commissaire Carole Lenfant, qui suit l’artiste depuis des années. Elle lui servit de guide parmi les œuvres de la Cité de l’Architecture & du Patrimoine, l’aidant à sélectionner les figures adéquates à réinterpréter sur la sphère. Ce projet était donc une opportunité pour concilier les domaines scientifique et artistique chers à Caroline Challan Belval « Ce fut l’occasion à ne pas manquer de plonger dans l’univers de l’astrophysique et de faire une collaboration entre art et science. A mes yeux, le modèle de la sphère de Coronelli correspond parfaitement à ce dialogue ».

Toute l’exposition a nécessité beaucoup d’énergie de la part de l’artiste, mais le travail de cartographie lui a demandé deux mois complets pour en saisir le fonctionnement : « Il y avait non seulement le repérage, l’introduction à l’histoire de l’astronomie et des cartographies célestes, et puis l’accès à tous les matériaux pour comprendre et réaliser la carte ». La carte de Coronelli était le reflet de son temps et de l’état de la connaissance à l’instant T. Le souhait de Caroline Challan Belval était que sa carte soit représentative des recherches actuelles et à venir : « Je voulais que cette sphère ait un sens par rapport à nous aujourd’hui et qu’on puisse comprendre vers quoi tendent nos recherches actuellement, car elles amorcent des constructions nouvelles ».

L’apport scientifique …

Sur ce nouveau globe céleste, on retrouve un certain nombre d’étoiles et de constellations anciennes comme les Pléiades, ainsi que des objets historiques. Mais il était nécessaire de faire apparaître les objets célestes repères et emblématiques de la recherche actuelle telle que la Galaxie d’Andromède (M31) ou bien Couteau 14, l’étoile phare de l’astronome éponyme. « J’ai voulu faire apparaître les découvertes de certains chercheurs qui ont marqué l’astrophysique actuelle. Ce sont des symboles que l’Observatoire m’a aidé à trouver et à placer sur ma carte », déclare l’artiste. Caroline Challan Belval a également gravé sur sa sphère les champs du ciel dits "banals" avec la contribution de Raphaël Gavazzi (IAP, collaboration OCA). Ce sont des régions du ciel qui permettent l’étude de l’univers et des objets à peine visibles.

… Pour une expérience esthétique

La sphère a d’abord été imprimée à l’eau forte et à partir de matrices en cuivre en forme de semi-fuseau. Les dessins ont ensuite été ajoutés à l’encre. Les repères célestes sont posés à la feuille d’or, pour que la lumière s’y répercute et que le matériau ne s’oxyde pas. Le papier utilisé, la pure fibre Kozo, est produit au Japon. « Toute la boule est recouverte de cette fibre de plante. C’est ce qui donne cette texture particulière et qui je pense, participe à la sensibilité de l’ensemble », précise l’artiste. Le choix des matériaux utilisés est donc essentiel pour le sens d’une œuvre selon elle : « Il y a bien sûr le message, toutes les données et les images qui sont figurées sur l’objet. Mais les matériaux eux-mêmes participent fortement au rêve possible. Ils nous donnent une perception particulière de l’objet. »

Caroline Challan Belval assure qu’il n’y a pas de prérequis nécessaire pour apprécier son œuvre d’art : « Les œuvres d’art sont faites pour rêver. L’art peut donner une émotion singulière et c’est vraiment dans ce sens que l’œuvre existe de prime abord. Ensuite, il y a plusieurs lectures possibles, y compris scientifique ».

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La sphère des bâtisseurs
© C. Challan Belval

Le récit de la réalisation de cette pièce sonne comme un parcours du combattant pour l’artiste. Finalement produite financièrement par la Cité de l’Architecture mais aussi par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il était justifié que la sphère soit exposée dans nos locaux. L’œuvre sera exposée à l’Observatoire de la Côte d’Azur puisqu’elle y puise de nombreuses sources, notamment grâce aux chercheurs qui ont participé à sa création.

 

La sphère des bâtisseurs est actuellement exposée à la Nef.

Cette œuvre ne sera seulement visible que lors de visites et de conférences dont nous vous communiquerons les dates ultérieurement.