Fig 1 : Signal  GW231123, très bref et atypique, dans les données des détecteurs LIGO Hanford (à gauche) et Livingston (à droite).

Les panneaux supérieurs montrent l'amplitude des données au fil du temps (traces grises). La bande bleue ombrée indique notre estimation du signal réel. Les panneaux inférieurs sont des spectrogrammes, également appelés cartes temps-fréquence, qui montrent l'amplitude du signal au fil du temps (axe horizontal) et selon les fréquences (axe vertical). Les couleurs plus vives représentent un signal plus fort.

Le 23 novembre 2023 à 13h54:30 UTC, la collaboration LIGO-Virgo-KAGRA (LVK) a détecté GW231123, un signal d'ondes gravitationnelles probablement dû à la fusion de deux trous noirs dont la masse combinée était la plus élevée jamais observée par la collaboration LVK. Ces trous noirs auraient tourné sur eux-même à une vitesse inimaginable, et leurs masses semblent remettre en question les théories existantes sur l'évolution et la fin de vie des étoiles massives.

Détection du signal

Cette onde gravitationnelle a été observée par les deux détecteurs Advanced LIGO de Hanford et Livingston lors de la première partie de la quatrième campagne d'observation du LVK (O4a). La cohérence entre les deux observatoires était essentielle à une détection fiable. Comme le montre la figure 1, le signal détecté a duré environ un dixième de seconde, mais il ressort clairement du bruit, environ 20 fois plus fort que le bruit typique d'un détecteur. Pour nous assurer qu'il ne s'agissait pas d'une anomalie aléatoire dans les données, nous avons effectué des vérifications statistiques minutieuses. Grâce à des techniques simulant des milliers d'années de fausses données, nous avons constaté que la probabilité qu'un bruit aléatoire imite GW231123 est inférieure à une fois tous les 10 000 ans ! Cela nous confère une confiance absolue dans l'origine non terrestre du signal, et donc dans la réalité de ce signal d'onde gravitationnelle.

La source du signal

Les données suggèrent fortement que ce signal provient de la fusion violente de deux trous noirs. Pour en savoir plus sur ces trous noirs, notamment leur masse et leur spin, nous avons utilisé plusieurs modèles basés sur la théorie de la relativité générale d'Einstein afin de simuler l'apparence d'un tel signal pour différentes paires de trous noirs.

En comparant les données à ces modèles, nous constatons que ces trous noirs pesaient respectivement environ 137 et 103 fois la masse du Soleil. Compte tenu de toutes les incertitudes, la masse totale se situait probablement entre 190 et 265 masses solaires, détrônant GW190521 comme la binaire de trous noirs la plus massive observée à ce jour. Comme si cela n'était pas déjà assez impressionnant, les deux trous noirs tournaient sur eux-même probablement quasiment à la vitesse maximale théorique, ce qui fait de GW231123 non seulement la binaire de trous noirs la plus massive, mais aussi celle dont les trous noirs avaient les spins les plus élevés jamais détectés avec certitude par ondes gravitationnelles.

La fusion a produit un trou noir dont la masse se situe probablement entre 182 et 251 masses solaires. Il appartient ainsi à une catégorie rare de trous noirs appelés trous noirs de masse intermédiaire : plus lourds que ceux issus de l'effondrement stellaire, mais beaucoup plus légers que les trous noirs supermassifs qui se cachent au centre des galaxies. Les restes de la fusion de GW231123 et GW190521 se distinguent comme les détections d'ondes gravitationnelles les plus claires de ces insaisissables trous noirs de taille moyenne.

Pourquoi ces propriétés sont-elles intéressantes ?

Les théories actuelles sur l'évolution stellaire suggèrent que les trous noirs dont la masse est comprise entre 60 et 130 masses solaires environ devraient être rares, voire inexistants. Cette plage de masse « interdite », dite gap de masse, résulterait de types particuliers d'explosions des etoiles massives, soit déchirant les étoiles (supernovae à instabilité de paires) ou soit éjectant une partie importante de leur masse avant leur effondrement (supernovae à instabilité de paires pulsationnelle), empêchant ainsi la formation d'un trou noir lourd.

Cependant, GW231123 remet en question cette hypothèse. Le trou noir le plus léger se trouve presque certainement dans le gap de masse, avec 83 % de chances d'y tomber, tandis que le trou noir le plus lourd a 26 % de chances. Cela suggère que les théories traditionnelles d'évolution stellaire  pourraient ne pas expliquer entièrement leurs origines.

Il serait aissi possible que l'un de ces trous noirs, voire les deux, se soient formés à la suite de fusions antérieures de trous noirs. Cela expliquerait leurs masses et spins élevés,. Cela pourrait suggérer qu'ils évoluaient dans un environnement astrophysique extrêmement dense, comme un amas nucléaire d'étoiles ou un noyau actif de galaxie, où les trous noirs sont plus susceptibles d'entrer en collision.

Ces environnements denses peuvent également conduire à des trous noirs orbitant les uns autour des autres selon des trajectoires plus allongées, ou excentriques. Cependant, nos modèles se limitent actuellement aux trous noirs gravitant en spirale vers l'intérieur sur des orbites quasi sphériques qui se rétrécissent progressivement à mesure qu'ils émettent des ondes gravitationnelles. Si les orbites étaient fortement excentriques, notamment juste avant la fusion,  les formes d'ondes émises en seraient affectées d'une manière que nos modèles ne prennent pas en compte. Pour GW231123, cette possibilité reste ouverte et nécessite des tests de modèles plus complexes.

D'autres scénarios auraient pu produire un signal comme celui-ci, tels que les lentilles gravitationnelles, les trous noirs primordiaux, les supernovae à effondrement de cœur, les fusions d'étoiles à bosons et les cordes cosmiques, mais ils sont astrophysiquement moins probables que ceux évoqués précédemment.

Les derniers instants de la fusion

Dans la plupart des fusions de trous noirs observées par la collaboration LVK – près de 300 au moment de la rédaction de ce résumé scientifique – les détecteurs sont plus sensibles aux premières phases du signal, lorsque les trous noirs spiralent l'un autour de l'autre avant de fusionner. Cependant, grâce à sa masse importante, GW231123 nous a fourni la vision la plus claire de son apogée : la fusion et la phase de décroissance, lorsque le trou noir nouvellement formé vibre en rayonnant de l'énergie par ondes gravitationnelles. Cette vivration s'amortit pour atteindre le repos, comme s'etteint le son une cloche.

Nous avons comparé cette dernière partie du signal aux prédictions de la relativité générale, et avons constaté leur forte similitude. Cependant, les propriétés extrêmes de GW231123 repoussent nos modèles à leurs limites, laissant certaines caractéristiques subtiles inexpliquées et indiquant des zones où nos formes d'onde peuvent être améliorées.

Conclusion

Il y a quelques années, dans notre résumé scientifique concnernant GW190521, nous affirmions que les records étaient faits pour être battus. GW231123 l'a fait :  un des trous noirs ou les deux pourrait être dans le gap de masse et les spins seraient proches de la limite théorique. Cet événement est à la fois extraordinaire et difficile à interpréter. Il nous pousse à explorer d'autres voies de formation des trous noirs, au-delà de la seule évolution stellaire traditionnelle, et met en lumière les limites de nos modèles actuels de formes d'ondes. Alors que nous continuons d'écouter l'univers en ondes gravitationnelles, GW231123 nous rappelle que le cosmos nous réserve encore bien des surprises, et que nous commençons seulement à les découvrir.

Pour en savoir plus :

Consultez nos sites web :

  • ligo.org
  • www.virgo-gw.eu
  • gwcenter.icrr.u-tokyo.ac.jp/en/
  • Lisez gratuitement une prépublication de l'article scientifique complet ici ou sur arXiv.org
  • Publication des données du Centre des sciences ouvertes sur les ondes gravitationnelles pour GW231123 disponible ici